Politiques de numérisation : enjeux et perspectives

Dans l’univers mouvant des politiques culturelles, la numérisation constitue l’un des domaines les plus innovants et les plus chargés d’enjeux, mais aussi l’un des plus méconnu.

Définie simplement, il s’agit de la transformation d’œuvres, de documents et de supports d’information matériels en fichiers informatiques encodés. Mais les implications en sont beaucoup plus vastes. Dans le domaine culturel, elle remplit en effet plusieurs fonctions, notamment en matière de conservation : préserver, dupliquer et protéger des documents contre les risques d’altération, archiver des originaux en vue d’un gain de place et faciliter l’indexation de textes et de documents multimédias.

Atlas Vasserot et Bellanger. Extrait du quartier du Roule, 1er arr. ancien (auj. quartier Europe, 8e arr.), 1830-1850. Archives numérisées de Paris.

Une politique de numérisation des fonds permet également à terme au public et aux chercheurs de consulter et d’accéder à des œuvres et à des documents anciens et/ou rares (via les bibliothèques électroniques et collections muséales en ligne).

La numérisation constitue ainsi pour les collectivités territoriales un levier majeur de valorisation des établissements patrimoniaux et de leurs activités.

L’exemple de la Ville de Paris

La collectivité parisienne en a bien compris l’intérêt pour ses fonds photographiques ou ses archives de l’état civil (c’est également vrai pour la ville de Lyon). La lenteur des processus de numérisation suppose cependant une clef de sélection, au regard de l’importance des fonds  – les bibliothèques municipales parisiennes conservent environ 6 millions de documents, ses fonds photographiques autant. La sélection des documents à numériser a jusqu’ici été faite sur la base de la rareté et de la fragilité des documents, de leur intérêt documentaire, de leur valeur patrimoniale et de l’intérêt d’un large accès public. L’iconographie en est l’axe prioritaire : la numérisation a ici été prise en charge par la Parisienne de photographie, une société d’économie mixte en DSP. Sauf exception – 4 livres de Louise Michel -, il n’a pas été numérisé de livres, mais il est désormais envisagé de numériser certains fonds d’imprimés et manuscrits.

Si le « modèle » parisien apparaît ainsi innovant, il est fait d’avancées par secteur, mais ne s’intègre pas pour l’instant dans un plan global de numérisation. Or, une dynamique nouvelle, plus systématique, est en cours d’émergence sous l’impulsion du ministère de la Culture.

L’aubaine du « Grand emprunt » et la numérisation : opportunités sous contrainte

Au sein du programme du Grand emprunt lancé par le gouvernement, pour un montant total de 35 milliards d’euros, 750 millions d’euros devraient être alloués à la numérisation du patrimoine culturel national.

Ce contexte national spécifique doit conduire à une nouvelle mise en ordre de marche des programmes de numérisation des collectivités et de leurs établissements publics. Mais il implique aussi des contraintes de mise à disposition et des coûts importants. La numérisation des collections présuppose en effet l’existence de catalogues informatisés, ce qui peut nécessiter la passation de marchés de rétroconversion des données papier lorsque ce n’est pas le cas. Des problèmes nombreux d’indexation, d’interfaçage informatique et de préparation concrète des fonds sont ainsi mis au jour lors des études préalables aux programmes de numérisation.

A l’autre bout du processus, la mise en place de portails en ligne pour les collections numérisées suppose également une réflexion en matière de gestion des droits d’auteur. Dans un premier temps, les images mises en ligne sur les portails sont souvent libres de droit par mesure de simplicité et de sécurité juridique. Néanmoins, la possibilité d’une mise à disposition large des collections suppose à terme l’ouverture à des œuvres non libres de droit. La question des droits semble notamment primordiale pour les bibliothèques, dont une grande partie du patrimoine est constitué d’œuvres de ce type. Ainsi, la signature d’une convention avec l’ADAGP (société des Auteurs dans les Arts Graphiques et Plastiques) et la définition d’une ligne de conduite pour la négociation avec les ayant-droit non affiliés constituent des possibilités à étudier.

Malgré l’effet d’aubaine apparent du Grand Emprunt, le chantier de la numérisation est ainsi vaste, complexe et sans doute coûteux, alors même que l’horizon financier des collectivités locales apparaît particulièrement sombre. Mais en rapprochant culture et NTIC, il est aussi très prometteur pour les politiques de démocratisation culturelle et pour la valorisation patrimoniale des territoires ; il ouvre, enfin, sur de nouveaux usages et des possibles encore difficiles à cerner. C’est ce que la ville de Lens a bien perçu avec son  ambitieux projet de pôle numérique et culturel.

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